Article publié dans Le Temps, le 12 mai 2025
Le ralentissement plus rapide qu’anticipé de l’inflation ainsi que l’appréciation du franc augmentent les probabilités d’un retour des taux négatifs. Mais le recours à cet outil par la BNS dépendra aussi de l’évolution de la politique commerciale américaine.
- Les récentes données sur l’inflation accroissent la probabilité de l’introduction des taux négatifs.
- Certains spécialistes estiment que la BNS fera recours aux taux négatifs seulement en dernière instance.
- D’autres observateurs attendent une introduction de cet outil à court terme.
Une fois encore, Donald Trump aura un impact sur l’économie helvétique. Cette fois-ci, il influencera en partie la décision de la Banque nationale suisse (BNS) d’abaisser ou non son taux directeur, qui est actuellement à 0,25%, sous la barre symbolique de 0% d’ici la fin de l’année.
« La probabilité que la BNS introduise des taux négatifs a certes augmenté avec les récentes données sur l’inflation. Mais les négociations que les Etats-Unis mènent avec ses différents partenaires commerciaux pèseront beaucoup dans la balance », avance GianLuigi Mandruzzato, économiste senior de la banque EFG. L’évolution de l’économie suisse, fortement orientée vers l’exportation, sera en effet déterminée par l’état de santé de ses principaux débouchés que sont l’Union européenne, le pays de l’Oncle Sam et la Chine.
Inflation négative temporaire
A la surprise générale, les prix à la consommation d’avril, publiés lundi, sont restés stables en comparaison annuelle, alors qu’une hausse oscillant entre 0,1% et 0,3% était attendue. Le renchérissement s’est donc inscrit à 0% alors qu’en mars il évoluait encore à 0,3%. « Il est fort probable qu’une inflation négative soit enregistrée à partir de mai, durant peut-être deux à trois mois, à cause de l’évolution des prix du pétrole. Mais cet effet ne devrait qu’être temporaire », poursuit le spécialiste.
Avec les récents chiffres sur les prix de la consommation, il est ainsi quasi-certain que la BNS réduira son taux à 0%, lors de sa prochaine réunion monétaire prévue le 19 juin. La suite reste à bien des égards encore incertaine, même si la pression sur l’institution en charge de la stabilité des prix augmente, argumente GianLuigi Mandruzzato.
Franc fort
L’appréciation du franc, considéré comme une valeur refuge en période d’incertitude, rend notamment la situation complexe pour la BNS. Et appliquer des taux négatifs rendrait la monnaie helvétique moins attrayante pour les investisseurs et soutiendrait les exportations. Un dollar ne vaut actuellement que 0,82 franc contre 0,91 en début d’année. L’euro en revanche est resté quasi stable à 93 centimes durant la même période, malgré un raffermissement provisoire autour de 97 centimes en mars.
La banque EFG pense cependant que les taux négatifs sont un outil que la BNS utilisera seulement en dernière instance car il présente de nombreux inconvénients. Cet instrument pénalise notamment l’épargne des citoyens mais également celle des entreprises et des investisseurs institutionnels comme les caisses de pension. Les capacités des banques à accorder des prêts sont aussi réduites, nuisant ainsi à l’activité économique.
« Avant l’introduction des taux négatifs, la BNS peut intervenir sur le marché des changes pour affaiblir le franc », estime GianLuigi Mandruzzato. Par ailleurs, l’économie suisse, bien qu’évoluant sous sa moyenne pluriannuelle, ne devrait pas entrer en récession en 2025, selon les dernières estimations.
Taux négatif à court terme
D’autres spécialistes considèrent cependant que l’introduction des taux négatifs est imminente. « Le marché s’attend à des taux négatifs de la BNS dès la fin de cette année, à -0,25% », observe Michel Dominicé, de la société de gestion genevoise qui porte son nom. Des instruments financiers liés au Saron, qui reflète les prêts au jour le jour des établissements financiers suisses, ont déjà clôturé à un niveau négatif il y a quelques jours, relève-t-il.
Des instruments financiers liés au Saron, qui reflète les prêts au jour le jour des établissements financiers suisses, ont déjà clôturé à un niveau négatif il y a quelques jours, relève Michel Dominicé.
Connu pour investir dans l’alternatif, l’immobilier et les biais de comportements des marchés, Michel Dominicé s’attend même à un retour plus rapide des taux négatifs, vers un niveau encore plus bas et qui le resteront pendant longtemps.
Premièrement à cause du passage du capitalisme industriel vers ce qu’il appelle «l’économie du savoir». D’un côté, une entreprise qui crée des logiciels nécessite moins d’investissements de départ qu’un groupe industriel qui a besoin de construire des usines. De l’autre côté, l’épargne est plus abondante car les classes moyennes doivent préparer des retraites qui durent plus longtemps. L’équilibre entre la demande d’investissement et l’offre de capitaux a donc évolué, ce que reflète le taux d’intérêt: « Dans le capitalisme industriel, le taux réel d’équilibre se situait entre 2 et 3%, il est devenu négatif en Suisse et dans d’autres monnaies avec le passage à l’économie du savoir ».
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Pression déflationniste
Autre tendance fondamentale, cette évolution de la structure de l’économie engendre une pression déflationniste. Pour reprendre l’exemple d’un logiciel, « le coût de conception est élevé mais il est faible pour la fabrication, produire un logiciel de plus, ce qu’on appelle le coût marginal, est bas, et la transparence accrue sur les prix applique une pression à la baisse », poursuit Michel Dominicé.
Le dernier élément qui milite selon lui pour un retour à brève échéance des taux négatifs en Suisse est plus conjoncturel: en période de stress financier, le franc suisse est toujours particulièrement recherché par les investisseurs. L’incertitude déclenchée par les décisions de Donald Trump fait ainsi baisser le dollar par rapport au franc. Il souligne également qu’une inflation négative se révèle problématique pour la classe moyenne, qui risque de voir ses revenus baisser s’ils sont alignés sur l’évolution des prix.
Quand on lui fait remarquer que la première époque de taux négatifs, entre 2015 et 2022, n’a pas réussi à véritablement relancer l’économie – en forçant littéralement les banques commerciales à prêter –, notre interlocuteur relève surtout que «la catastrophe d’une inflation négative et d’une forte appréciation du franc a été évitée».
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